no more tears, my heart is dry
i don't laugh and i don't cry
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► Je boutonnai le dernier bouton de ma chemise, tandis qu’Isaac ajustait une dernière fois son costume. Tous biens habillés, tous bien coiffés pour un jour aussi funeste qu'aujourd'hui, comme si ces vêtements hors de prix allaient nous aider à sortir de l'Arène. Comme si, grâce à cette chemise vieille comme le monde et au coup de peigne dans mes cheveux, les sponsors allaient me trouver plus attrayant. Je riais en silence, devant tant de bêtise, en pensant à tous ces naïfs qui pensaient avoir une chance de sortir de l'Arène s'ils se mettaient sur le trente-et-un. Je n'aurais sans aucun doute jamais enfilé cette horreur si Isaac ne m'y avait pas poussé. Isaac, et bien sur sa sœur, Esther. Ma sœur en quelque sorte, puisque je passais la plupart de mon temps sous le toit des Badgley, bien loin de la petite boucherie de mes parents en centre-ville. Ces derniers étaient tombé en dépression après la mort de ma sœur, Vasilly, durant les Jeux quelques années plus tôt. Et apparemment j'étais bien le dernier de leur soucis. Alors je venais me réfugier chez Isaac, bien loin des pleurs et des lamentations, chez ma vraie famille, celle qui prenait soin de moi. Et ce jour ne Moisson ne faisait pas exception à la règle.
“ Bon, Tobias, Micah, bougez-vous sinon Esther va venir nous botter le cul !” J'enfilai ma veste en imitant Isaac d'une voix exagéré, déclenchant un fou rire automatique de la part de Tobias, le plus jeune frère Badgley. Il n'avait que quinze ans, et du haut de mes dix-huit ans, nous étions les deux derniers de la "famille" à pouvoir être sélectionné. Car si Isaac et moi étions dans la même classe, il avait pour sa part passé l'âge d'être pigé. Il avait même deux ans de plus que moi ; j'avais sauté une classe, il avait redoublé. Ce fut donc par un vrai hasard si nous étions aujourd'hui meilleurs amis. Enfin prêt nous prenions la route pour la grande place, lentement, d'un pas las. Le poids sur mes épaules était beaucoup moins important que les années précédentes ; ma dernière chance d'être pigé, ma dernière année de calvaire. Je vivais cette Moisson presque comme une libération. C'est pourquoi, après un dernier encouragement de la part d'Isaac, j'entrainai Tobias vers la table d'enregistrement avec l'espoir n'en avoir fini une bonne fois pour toute. Erreur grossière. Car le nom qui allait être sorti, c'était le mien.
✤✤✤
Assis dans la petite pièce de l'hôtel de ville, j'attendais impatiemment. Que quelqu'un fasse son entrée, qu'on brise enfin le silence étouffant qui s'était invité dans la chambre. Mais rien. On m'avait laissé depuis plus de cinq minutes, et personne n'était passé me dire adieu. Pas même mes parents. Pas même Isaac. Si pour les premier, le choc de voir leur deuxième enfant partir pour les Jeux était une excuse valable, j'avais beau chercher, l'absence de Isaac elle restait inexpliquée. Il devrait être là. Avec moi. Il devrait me soutenir, me dire que tout allait bien se passer. Mais j'étais seul, incroyablement seul. Personne n'allait venir. Personne, en fin de compte, ne tenait suffisamment à moi pour un dernier adieu. Pas même les Badgley. Et alors que tous espoirs de visite semblaient s'être évaporés, la porte s'ouvrit timidement. D'abord de quelques centimètres, puis, lentement, inaperçus Tobias faire son entrée. Mon cœur se serra. Il était seul. Il s'approcha de moi vint s'asseoir à mes côté, sans un mot.
“ Isaac ... Isaac ne viendra pas. ” Je baissai le regard, incroyablement déçu du comportement de mon pseudo-frère. Si j'avais bien besoin d'une personne à mes côtés en ce moment, c'était Isaac. Personne d'autre, pas même Tobias.
“ J'avais deviné ... ” lâchai-je d'un ton las. Le pauvre petit ne pouvait rien y faire.
“ Il m'a dit de te dire quelque chose. De te faire passer un message. Il ne peut pas venir, il a pas réussi. Mais si tu reviens, il ne sera plus là. Il t'attendra au Treize. ” Lâche. C'était le seul mot que j'avais en tête. Si lâche qu'il ne trouvait même pas la force de me soutenir dans mon supplice. Tellement lâche qu'en plus de me fuir, moi, il fuyait sa propre vie, son district, sa famille, pour aller se terrer dans un district probablement imaginaire. Et si j'avais pu sortir maintenant, et aller lui crier tout ce que j'avais sur le cœur, ça ne serait vraiment pas beau à regarder. Mais je restai assis là, incapable de dire quoi que ce soit. Atterré par mon meilleur ami. Et par sa lâcheté. J'aurais bien donné un message à Tobias moi aussi, lui dire d'aller ce faire foutre, que même si je revenais, je n'irais pas m'aventurer dans quelque chose d'aussi idiot. Mais c'était probablement le dernier souvenir que mon "petit frère" garderait de moi, et contrairement à Isaac, je voulais me montrer digne de faire partie de sa famille. J’attrapai Tobias par le coup et plaquai un baiser sur son front.
“ Je suis désolée ... Bonne chance Micah, tu peux le faire. Tu es plus intelligent qu'eux. ” “ Bien que je le suis ! Je suis plus intelligent que tout le monde. ” dis-je en tâchant de rire. Mais le cœur n'y était pas, et ce rire se brisa dans l'air.
“ Merci gamin. Prend soin de tout le monde. ” Un Pacificateur débarqua dans la pièce, lâchant un vague "c'est terminé" avant d'empoigner Tobias et de l'envoyer à la porte. Cette dernière claqua derrière eux, et je me retrouvai une fois encore seul dans la petite chambre tapissée de rouge. Effrayé, mais étonnamment prêt. Prêt à partir vers une mort certaine.
do you know what's worth fighting for
when it's not worth dying for
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►
and if you're still bleeding, you're the lucky ones.
cause most of our feelings, they are dead and they are gone.
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► “ T'es mon nouveau voisin, c'est ça ? ” Je sursautai en entendant la voix d'Azaria. Carton à la main, je me retournai, maladroit, pour faire face à la jeune fille qui venait de m'adresser la parole. Bizarre. On ne m'adressait plus vraiment la parole en ce moment, au plutôt encore moins que d'habitude. Du coup je ne savais pas vraiment quoi dire.
“ Ouai. Apparemment. ” dis-je en tâchant de regarder l'intérieur de mon carton. Apparemment oui. Puisque j'avais gagné. L'idée, même près d'une semaine après ma sortie des Jeux, avait décidément beaucoup de mal à entrer. Elle, elle me fixait d'un air enfantin, sans bouger. Azaria était la fille d'un autre Vainqueur du Dix, mon mentor durant les Jeux. Mentor alcoolique qui ne m'a certes été d'une grande utilité, mais sur le papier, c'est grâce à lui si je suis sortie vivant. Elle était un peu plus jeune que moi, peut être un ou deux ans, mais nous nous croisions souvent à l'école. Comme moi, elle aimait trainé à la bibliothèque, et je la voyais rarement accompagné du reste des filles là-bas. Solitaire, comme moi. Je relevais la tête et souris timidement. Elle se décida enfin à bouger, se dirigeant à grand pas à l'intérieur de ma nouvelle demeure.
“ Azaria, attend ... ” Je rentrai au pas de course et lâchai mon carton sur la table du salon, qui s'écrasa dans un bruit sourd en résonnant dans toute la pièce.
“ Oui, bien sur, vas-y Azaria tu peux entrer et visiter ! ” lâchai-je ironiquement, alors qu'elle parcourait la salle de long en large.
“ Je me suis toujours demandé à quoi elle ressemblait de l'intérieur. Pas mal. Bien plus moderne que la mienne. Et elle sent moins mauvais. ” “ Contente qu'elle te plaise ! ” dis-je sur un ton sarcastique, légèrement irrité par l'intruse dans mon salon. Elle fila vers les escalier et continua son inspection, moi sur ses talons, la suivant au pas de course. On ne parla pas beaucoup, et principalement de rien de très constructif. Mais pourtant, avec elle je me sentais bien. C'était facile. Et j'aurais aimé qu'elle reste plus longtemps, mais au bout d'un moment, elle sauta sur ses pieds.
“ Je dois y aller, mon père va bientôt se réveiller ... ” Elle s'approcha lentement et déposa un baiser sur ma joue, léger, furtif, avec cette sensation d'un baiser volé.
“ A demain ! ” dit-elle elle sortant par la porte au petit trot. C'est ce jour là que j'ai réellement rencontré Azaria. Et si elle est revenue le lendemain, elle est aussi passée tous les autres jours qui suivirent.
✤✤✤
“ Azaaa ! ” Mon cri, que la colère faisait résonner dans toute la maison, ne pouvait que la faire rappliquer en vitesse. Je n'utilisais jamais ce ton avec elle. Sauf quand la situation s'y prêtait ; et cette situation-là, elle s'y prêtait à merveille.
“ Azaria Madsen, je sais que tu m'entends, t'as intérêt à rappliquer ! ” dis-je cette fois d'une manière plus étouffée, essayant de me contenir pour ne pas réveiller Alma dans mon lit. Quelques secondes plus tard, j'entendis le pas sautillant de ma voisine remonter les escaliers.
“ Quoi ? ” lâcha Azaria d'un air condescendant exagéré. Je la regardai, les yeux écarquillés, surpris qu'elle ait eu a posé la question.
“ Mais enfin merde, Aza, qu'est-ce que tu fou chez moi à six heure du matin ? ” Elle me regarda l'air désolé, ce même air désolée auquel je ne pouvais pas résister. Ces grands yeux me fixèrent pendant plusieurs secondes avant qu'elle se décide enfin à me donner une explication.
“ J'avais oublié quelque chose ... ” Je soufflai bruyamment, incroyablement en colère mais pourtant incapable de m'énerver contre elle. Contrairement à Alma, avec qui nos disputes incessantes étaient la base de notre relation, elle, je ne pouvais pas. Pas Azaria, jamais. Malgré moi, ma voix se radoucit.
“ Et qu'est ce qui est si important que tu dois entrer par effraction chez moi, et non attendre que je me réveille, comme une personne normale ? ” “ Mon pull orange ... ” Ses yeux grands yeux revinrent se plonger dans les miens, et toute la colère des instants passés s'évapora. J'étais impuissant devant tant d'innocence, aussi artificielle soit elle. Il n'y avait presque rien d'innocent chez Azaria, mais pourtant je ne pouvais m'empêcher de succomber. Elle s’aperçut qu'elle m'avait vaincu et vint se blottir contre moi. Je refermai mes bras autour d'elle, et posai ma tête sur la sienne, doucement.
“ Avant j'avais le droit d'entrer chez toi quand je voulais. Je restais même dormir. J'avais le droit d'être tout le temps avec toi. Avant que la pouffiasse arrive. ” Sa voix s'affaiblit au cours de sa phrase, pour ne devenir qu'un murmure en prononçant le dernier mot. Je fermai doucement les yeux. Azaria n'avait jamais su accepter Alma, elle n'avait jamais pu accepter l'idée que je partage ma vie avec une autre femme qu'elle. Et elle ne manquait pas de me le faire remarquer. Incroyablement jalouse pour un si petit brin de femme, j'avais découvert une autre facette d'Azaria avec l'arrivée du Treize dans notre district natal, et par conséquent d'Alma. Tout s'était passé très vite. J'avais beau aimer Azaria plus que n'importe qui, et elle avait beau ressentir la même chose pour moi, rien ne s'était jamais passé. Puis Alma était arrivé, et avec elle, tout semblai si simple, tout semblait évident. Pourtant une part de moi savait pertinemment que je n'appartenais à personne d'autre qu'à Azaria, mais mon cerveau refusait de coopérer.
“ Aza, s'il te plait ... ” Elle se dégagea de quelques centimètres, assez pour pouvoir me regarder dans les yeux. Ses yeux, à elle, étaient remplis de larmes.
“ J'ai essayé Micah, j'ai vraiment essayé. Pour toi, pour que ça marche ...” Elle se pinça les lèvres, lèvres que j'avais tant de fois rêver d'embrasser. Rien qu'une fois, pour connaitre la saveur de ses baisers à elle. Pour savoir s'ils étaient différents d'Alma, pour savoir si une fois ce baiser passé, tout serait plus simple. Mais je n'avais plus le droit maintenant. Alma dormait dans mon lit quelques mètres plus loin, et c'était là-bas que je devrais être, allongé à ses côté.
“ Je suis désolée. ” dit-elle en enfouissant de nouveau son visage contre mon torse, laissant cette fois les larmes dévaler ses joues.
“ Je suis vraiment désolée mon Micah ... ” Je la serrai plus fort. Elle n'y était pour rien la pauvre. C'était ma faute. Moi qui savais tout sur tout, j'aurais dû savoir, si c'était elle la bonne ou pas. Mais malheureusement, ce n'était pas une chose qu'on pouvait lire à la bibliothèque, pas quelque chose qu'on pouvait apprendre. On pouvait seulement l'endurer.
“ Aza, ma belle, arrête, tu as toujours le droit de venir. Quand tu veux. Ça sera toujours toi. ” Je déposai un long baiser sur son front.
“ Arrête de pleurer. Va te recoucher princesse, on se revoit dans la journée. ” lâchai en la berçant dans mes bras. Nous restâmes comme ça, serré l'un contre l'autre pendant plusieurs secondes. Minutes même, le temps semblait s'être déréglé. Comme ça j'étais bien. Si j'avais pu, je n'aurais plus jamais bougé. Mais la porte de la chambre s'ouvrit dans un grincement. Je me retournai d'un coup, lâchant Azaria en même temps. Alma apparut en sous-vêtement, encore tout endormie.
“ Micah, reviens te coucher. ” lâcha-t-elle froidement, et sans même un regard pour Azaria, elle retourna dans la chambre en claquant la porte. Je plaquai un dernier baiser sur le front de ma voisine avant de m'éloigner lentement.
“ A toute à l'heure Princesse. ” Le visage humide, elle baissa le regard et tourna les talons, avant de lâcher d'un ton las
“ Si t'es pas trop occupé à jouer les héros, passe me voir à la maison. ”